Poétique
de Racine
Tandis que Corneille paraît
toujours ressentir un secret dépit contre Aristote et ses commentateurs, Racine
semble ne regarder les règles de la tragédie que comme les conditions
nécessaires du genre. Cela tient à ce que la « crise morale » à laquelle Racine
réduit toute sa pièce acquiert par les trois unités, loin d'en être gênée comme
les actions historiques et implexes de Corneille, plus de concentration et de
force.
— Racine choisit
ses sujets dans la légende grecque ou romaine : une fois, dans Bajazet,
il s'inspire d'un fait contemporain, mais lointain : deux fois, il a
recours à la Bible.
— Tout son
effort vise à rendre ce sujet vraisemblable : c'est-à-dire, étant
donné un certain dénouement tragique fourni par la tradition, à le montrer, à
le rendre nécessaire, par l'analyse approfondie des passions humaines qui
l'ont produit. Aussi l’action, en elle-même, est-elle très simple. Entre l’exposition et
le dénouement, aucun événement nouveau : rien que le jeu des
sentiments. C'est ce que Racine appelle : « faire quelque chose de rien. »
— L'amour est,
de toutes les passions, celle qui tient le plus de place dans les pièces de
Racine. Mais, pour ne pas tomber dans la galanterie à la mode, Racine ne manque
jamais de peindrel’amour jaloux. La jalousie est le grand ressort
tragique de son théâtre, comme la volonté celui du théâtre de
Corneille. Cependant, Racine n'a pas moins réussi dans l'analyse de l'ambition
politique, de l'amour maternel, de l'amour ingénu : mais, en général,
c'est l'amour tragique et jaloux qui mène l'action et qui provoque le
dénouement.
— De là, l'impression de vérité et de tristesse que
laisse le théâtre de Racine. Corneille, en exaltant l'énergie et la volonté,
nous amène à prendre confiance en nos propres forces ; Racine, en nous
présentant un Pyrrhus, un Oreste, une Hermione, une Roxane, un Mithridate, une
Ériphile, une Phèdre, jouets et victimes de passions violentes et cependant
vraisemblables, nous oblige à faire un retour sur notre faiblesse. Seule la
dignité des personnages et le recul de l'action peuvent rassurer les spectateurs :
à la lecture, nous sentons que cette tragédie serait, en changeant
les temps et les noms, le drame mo
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